Danielle fouille dans son sac. Une odeur de menthe artificielle s’en échappe. Elle développe une pastille et la fait disparaître en troussant ses lèvres. Son parfum au patchouli, et l’effluve de son savon de corps à la mandarine s’obstinent avec l’odeur amandée de sa crème à main. Ces odeurs sonnent faux sur elle, comme sur tant d’autres personnes s’imaginant nettes en sentant le naturel de laboratoire. La chair doit-elle être aseptisée et aromatisée comme l’impose la médecine marchande? Autant une personne utilise de produits, autant son champ de sensibilité rétrécit par l’effacement des odeurs organiques révélatrices. La désodorisation asphyxie la peau, gomme les fibres délicates et berne les messages sensitifs. Quelle est cette manie de nier notre animalité!
Au deuxième massage, Danielle a tenu compte de ses exhalaisons organiques. Elle abandonne cette manie de consommer du sent-bon. Une personne qui respire est une personne qui transpire, qui évacue. Sa peau s’exprime de plus en plus clairement. Comme elle ne met plus de produits alambiqués sur son corps, la peau ne s’englue pas lorsque je la pétris avec les huiles. Je sens que nous accédons à l’essentiel.
Danielle est allongée sur le ventre. La tête laisse émaner une odeur ambrée m’indiquant l’activation des fluides crâniens. Une odeur de pâte à pain émane de son cou et de ses clavicules et m’annonce que les glandes se manifestent avec vigueur. Si le système immunitaire était sur la défensive, son odeur serait plutôt acide, presque vinaigrée. L’odeur, c’est le corps avant le corps, l’émissaire évanescent qui annonce ma vraie nature.
Le rituel, de la mise en place sur la table, me permet de repérer les
autres effluves. En plaçant les coussins pour soutenir les pieds, la plante du
pied gauche détache une subtile odeur d’ammoniaque. Ce qui me suggère une éventuelle
attention pour le rein du même côté. La paume des mains sent la noisette, donc les poumons respirent en profondeur. La
peau de son dos est fine et sent le minéral, ou plutôt le sel, une
caractéristique de la fébrilité. Toutes ces odeurs se mettent en balance et, en
quelques secondes, se dissipent. Ce n’est pas tant l’odeur qui va se disperser
que mon odorat qui sature rapidement. Mais, je saisis les données et je
réplique avec les huiles essentielles appropriées.
Eva et carlos
Étant frère et sœur, leur tempérament se manifeste avec des polarisations analogues saupoudrées de distinctions. En l'occurrence, leur identité odoriférante dégage une empreinte caractéristique, malgré les analogies génétiques et alimentaires. Mise à part la senteur axillaire intense de mâle, l’émanation de Carlos apparaît d’abord fixée dans son corps. La moindre augmentation de température libère chez lui une vibration olfactive de carbone. C’est l‘exhalaison harmonique des sécrétions du corps et de l’huile utilisée. Une senteur dysharmonique de plomb indiquerait une inadéquation et un présage de problème de santé. Une personne incommodée par la senteur d’une huile essentielle signifie que cette chimie ne lui convient pas pour le moment. Si notre odorat est chatouilleux, cela signifie qu’il décèle des substances nuisibles à l’organisme. Un corps en déséquilibre se manifeste par des signaux sensoriels. Nous sommes alors hypersensibles aux moindres émanations de combustion, de solutions aigres ou caustiques. Une odeur est agréable parce qu’elle suscite des émotions positives. Si je dis: « Cela sent le bébé », vous allez penser à une odeur douce, caramélisée, pas à la vomissure et aux couches pleines. Le nez fuit illico une odeur funeste, comme il s’attarde à une senteur nourrissante qui dorénavant deviendra désirable. L’inhalation longue entraînera une respiration longue, et amènera plus d’oxygène, plus de détente.
Eva présente cette particularité, elle émet une vibration olfactive intense de couleurs différentes, selon son humeur. Elle se le fait dire souvent par son entourage. « Hum, qu’est-ce que tu sens? » Ou « On sait quand tu es passée par ici!... » Les remarques sont d’autant positives quand elle est dans la phase précédant son ovulation. L’odeur de l’autre est parfois une différence olfactive née de la nature de ses vêtements ou de ses accessoires. Mais généralement ses odeurs n’ont pas d’éclat. Aujourd’hui, la senteur d’Eva est vive et fraîche, je dirais même plus, ferreuse! Ne disons-nous pas une santé de fer. Elle insiste sur ce point : « Je n’utilise aucun produit à odeur notable. Je ne crois pas aux crèmes qui ont un pouvoir relaxant ou stimulant, si d’emblée vous n’êtes pas disposé à vous détendre. Je ne crois pas non plus aux vertus des huiles, si elles n’entrent pas en dialogue avec mes propres émanations. Eva est chef cuisinier. Son bagage olfactif fut d’abord ses souvenirs d’enfance. Les biscuits sortant du four, le lait, le chocolat, le beurre, les épices…Avec le temps, elle a cultivé cette sensibilité en y associant une gamme de sensations. On peut sentir chez elle une réaction spontanée aux huiles essentielles de fruits. Si le fruit prend du corps, c’est que l’huile est oblitérée par le système nerveux. Une émanation corporelle brouillonne indique que l’huile n’est pas appropriée. Si l’équilibre chimique s’établit, ses effluves seront nuancés, car l’épiderme absorbe. L’interaction se manifeste donc par une nouvelle émanation. Une peau muette par exemple, comme celle des personnes consommant trop de psychotropes, est également une peau sourde. Les alcooliques camouflent souvent leurs nuages faisandés en se parfumant comme un salon funéraire.
Une senteur trop expansive goutte me rétorque Eva. Mais j’aime prendre le risque d’être contrariée par une odeur, plutôt que de les empêcher d’éclore. Notre mère stérilisait tout. Rien n’échappait à l’eau bouillante et au savon. Même les torchons qui servaient à astiquer, effacer une fois pour toutes, les horribles micro-organismes. Elle était propre comme une pierre tombale.
Senteurs et émotions sont directement liées et l’odorat se différencie des autres sens par ses processus de perception de l’environnement et de mémorisation, parce qu’il est directement lié au cerveau limbique. Nous sentons toujours un souvenir, une ambiance, une image, une saveur, une texture. Le lilas et maman, les vieux livres, l’encre, la craie de la petite école.
Il est fascinant de découvrir que le toucher est le moyen le plus efficace
pour vous sensibiliser à l’éclosion de votre mémoire olfactive. Celle-ci influence
notre perception, même inconsciente de la réalité. Qui aurait pu dire qu’un
massage vous ferait sentir si bien!
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