***
Lorsque mes mains se déposent sur son dos, un spasme chasse un gros sanglot. Mon toucher l’interroge. Qui es-tu ? N’as-tu pas, par hasard, besoin d’être entendue, appréciée sans tes prouesses professionnelles, sans l’esprit constamment en alerte, sans nourrir tes chimères? Mes manœuvres exorcisent ces ectoplasmes qui encombrent son corps. C’est qu’ils détestent les massages, les fantômes! Mes mains lentement mais énergiquement débarrassent les toiles d’araignée témoin des émotions séquestrées dans ce corps :
— Tu as de la peine? — Non.
— Tu as mal? — Non, non.
— Que souhaiterais-tu? — Je n’ai besoin de rien, feinte un dernier fantôme.
La carapace commence à fissurer. Ses trapèzes tirent comme des câbles d’acier. Un sanglot s’échappe et puis une brèche s’ouvre pour libérer trente-sept années d’obscures discordances et de frustration. Le vent de mousson provenant de la génération précédente siffle encore sur les branches de son arbre généalogique durement éprouvées par le verglas des hivers de ses jeunes années! Son corps devient transparent. Mes mains portent de plus en plus attention. Son corps comme son cerveau parle un langage précis. Jade Monceau, née le 22 avril 1970, à Pékin. Adopté par des Charlesbourgeois le 14 novembre de la même année. A fait ses études à l’Université Laval, se marie le 24 juillet 2004, se sépare le 9 septembre 2006. Le 7 février 2007, elle obtient le poste convoité d’enseignante à l’université. Depuis cette nomination, le vertige est intenable. Tout cela, elle me le dira après. Pour le moment, mes mains lisent la détresse figée dans ses fibres. Je peux sentir l’enfant qu’elle a été. Je devrais dire, l’oiseau domestique qu’elle a été. Cette fillette qui déployait toute son imagination pour s'intégrer, sentir tangiblement l’estime des autres et d’elle-même. Pourquoi pas dans les bras de quelqu’un? Elle voulait être touchée. N’y avait-il pas cette dichotomie dans une famille apparemment affectueuse? Les cajoleries étaient un trompe-cœur, comme se faire des chatouilles pour imiter la joie de vivre. En réalité, la mère se cantonnait dans sa boutique et le père débonnaire était absent des moments essentiels de la journée. En vieillissant elle s’imaginait enfin méritée cette tendresse profonde et sincère, mais les navrantes cajoleries de ses soupirants cabotins, qui aimaient bien la petite bête exotique, la rebutèrent. Elle s’était inconsciemment conformée aux désirs de ses parents adoptifs. — N’es-tu pas reconnaissante ? Nous voulons être fiers de toi, la famille c’est important.
Elle était parfaite au travail, parfaite au cours de peinture, parfaite au ménage, parfaite à la course à pied. Une perfection incurable qui ne convergeait vers aucun de ses rêves. Son corps suffoquait sous ses ectoplasmes. Toujours, l’angoisse de décevoir.
Pendant que je masse en douceur la nuque de Jade, elle se délasse sur la table. Une dernière brèche s’ouvre au gré des cascades d’émotion. Apparaît cette douce vague de chaleur. L’instant présent. Elle vit totalement son massage. Sa respiration me dit qu’elle est bien en contact avec elle-même. Pour la première fois de sa vie, elle est au bon endroit, au bon moment.
— Que souhaiterais-tu? — Je n’ai besoin de rien, feinte un dernier fantôme.
La carapace commence à fissurer. Ses trapèzes tirent comme des câbles d’acier. Un sanglot s’échappe et puis une brèche s’ouvre pour libérer trente-sept années d’obscures discordances et de frustration. Le vent de mousson provenant de la génération précédente siffle encore sur les branches de son arbre généalogique durement éprouvées par le verglas des hivers de ses jeunes années! Son corps devient transparent. Mes mains portent de plus en plus attention. Son corps comme son cerveau parle un langage précis. Jade Monceau, née le 22 avril 1970, à Pékin. Adopté par des Charlesbourgeois le 14 novembre de la même année. A fait ses études à l’Université Laval, se marie le 24 juillet 2004, se sépare le 9 septembre 2006. Le 7 février 2007, elle obtient le poste convoité d’enseignante à l’université. Depuis cette nomination, le vertige est intenable. Tout cela, elle me le dira après. Pour le moment, mes mains lisent la détresse figée dans ses fibres. Je peux sentir l’enfant qu’elle a été. Je devrais dire, l’oiseau domestique qu’elle a été. Cette fillette qui déployait toute son imagination pour s'intégrer, sentir tangiblement l’estime des autres et d’elle-même. Pourquoi pas dans les bras de quelqu’un? Elle voulait être touchée. N’y avait-il pas cette dichotomie dans une famille apparemment affectueuse? Les cajoleries étaient un trompe-cœur, comme se faire des chatouilles pour imiter la joie de vivre. En réalité, la mère se cantonnait dans sa boutique et le père débonnaire était absent des moments essentiels de la journée. En vieillissant elle s’imaginait enfin méritée cette tendresse profonde et sincère, mais les navrantes cajoleries de ses soupirants cabotins, qui aimaient bien la petite bête exotique, la rebutèrent. Elle s’était inconsciemment conformée aux désirs de ses parents adoptifs. — N’es-tu pas reconnaissante ? Nous voulons être fiers de toi, la famille c’est important.
Elle était parfaite au travail, parfaite au cours de peinture, parfaite au ménage, parfaite à la course à pied. Une perfection incurable qui ne convergeait vers aucun de ses rêves. Son corps suffoquait sous ses ectoplasmes. Toujours, l’angoisse de décevoir.
Pendant que je masse en douceur la nuque de Jade, elle se délasse sur la table. Une dernière brèche s’ouvre au gré des cascades d’émotion. Apparaît cette douce vague de chaleur. L’instant présent. Elle vit totalement son massage. Sa respiration me dit qu’elle est bien en contact avec elle-même. Pour la première fois de sa vie, elle est au bon endroit, au bon moment.
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