De retour de vacances, certaines de mes clientes rappliquent courbatues et souvent tourmentées par leur aventure dans des centres de santé. C’est le cas d’Ana qui aujourd’hui veut son massage Heza pour effacer sa mésaventure. Elle me raconte son exaspérante journée au supposé luxueux spa nordique. Un décor design, une ambiance sans âme aux effluves empruntés où la musique presque mortuaire cherche à enterrer le grésillement des insectrons. Autour de la piscine, chaque patiente emplâtrer dans son peignoir griffé est affectée à sa chaise longue. Une pluie fine vient taquiner leur crâne et brasser leurs méninges avant de se faire brasser dans le jacuzzi.
Pour fuir l’ambiance fabriquée, Ana commit
l’impair d’aller se faire masser. Une dame l'a reçu tout attentionnée, tout
sourire, lui proposant de réviser son forfait déjà coûteux pour accéder à un
massage longue durée. On lui attribua un numéro de loge où l’attente serait de
quelques minutes…de très longues minutes.
Ana ne peut s’empêcher
d’interpréter la scène avec emphase.
– Vous auriez dû me voir la mine déconfite quand j’ai vu arriver dans la salle de massage le masseur avec un air de jésuite en gougounes, attifé d’un pistolet d’huile sainte à la ceinture! Du coup, l’ambiance de sanatorium s’est métamorphosée en columbarium. Ce freluquet jouant au gars cool me souhaita la bienvenue au paradis. Vous imaginez la comédie, moi comme un agneau sur l’autel du sacrifice et lui le pasteur nomade cherchant à me mettre en confiance. J’eus la sensation désagréable qu’il me prenait pour une pâte à tarte en me pétrissant de son futile bavardage faussement cordial. Ses mains se sont bornées à une corvée expéditrice sans aucune qualité d’écoute.
Catherine, une autre de mes clientes,
n’a pas été plus chanceuse à son spa Nature-Santé. Elle aussi ne pouvait
s’empêcher de témoigner avec ironie de son
frivole traitement.
— Frustré, me dites-vous, mais je suis fru à la puissance dix. La madame voulait me mettre des petites roches dans le dos pour enlever mes bobos. Réveille madame! Je n’ai pas payé 300 dollars pour qu’on joue au petit Poucet sur ma colonne vertébrale. Ben non, elle en rajoute : un bain au chocolat pour vous gâter? Ah ça!...Pour tout gâter, j’en étais convaincu. Il n’était pas question que je fasse les frais de fantaisistes attardés. J’avais cette étrange impression d’être dans le pavillon des mabouls, avec dans un coin, une bécasse qui faisandait dans un costume du bonhomme Michelin pour drainer sa lymphe et dans l’autre une lilliputienne macérant dans une gibelotte minérale enveloppée comme une guédille. À voir le troupeau de momies dans le pacage, on devrait baptiser ce genre d’endroit un Spationnement. Vivement quelqu’un d’attentif à ma personne distincte, vivement mon masseur à moi!
Ils ne mâchent pas leurs mots les
gens qui vous racontent leurs mésaventures, surtout quand ils ont puisé dans leurs économies et souhaitaient
consacrer un temps précieux à leur bien-être. Je ne peux m’empêcher de vous citer
le cas de Gilles et Amina qui se sont accordés une escapade à l’ashram. Gilles
avait promis à Amina un petit week-end lumineux.
—
Ouais ben, c’est important
de la trouver la lumière à 5 heures du matin quand tu veux aller pisser. Notre
cubicule est à l’opposé des cabinets d’aisances du dortoir. La matinale cloche
sacrée t’invite avec instance : grouille ma Vishnouille, ça braille déjà
dans la salle de prières. Cela donne la nausée ces bouquets d’encens au petit
matin. Un genre de comptoir ressemblant à un bar à salade est rempli de
statuettes des divinités en accoutrements de marionnettes. Le baragouinage
qu’on entend donne l’impression que personne ne récite la même prière. En fait
personne ne sait le sens des mots de cette langue et l’interminable litanie a
un effet soporifique.
— Je
ne suis pas la seule à cogner des clous. C’est encourageant de voir les maîtres
canaries drapés, échapper aussi leur tête entre deux jérémiades. J’avais
vraiment mal au coeur. Je suis sorti du fumoir au patchouli. Le week-end a duré
un jour finalement. J’avais pourtant réservé une séance de massage. Le local
était une arrière-boutique avec des étagères poussiéreuses chargées de
statuettes, de boîtes d’encens et des piles de livres à cinq sous. On aurait
dit des livres à colorer sur Krishna, Mowgli et Gandhi. Une couverture et un
coussin chiffonnés reposaient sur le plancher. Une bizarre odeur de yogi
préhistorique collait aux narines. La nausée m’a repris. Je me suis enfuie.
J’ai encore plus de tensions que jamais.
C’est souvent flatteur de les entendre réclamer un massage de mes
mains expertes, selon eux. Je pourrais vous raconter plusieurs autres
témoignages du genre et je tente souvent de rassurer les gens qui me font ce
type de témoignages. Toute expérience est enrichissante comme tout genre de
massage a un intérêt. Mais il est clair que les massages avec accessoires comme
les massages aux rites incantatoires sont des divertissements, tout au plus.
L’effet positif qu’il provoque, c’est de m’assurer la fidélité de ma clientèle
aux prochaines vacances.
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