Aujourd’hui c’est cours de massage pour les
enfants. Dans certaines écoles de Rosemont, les ateliers de massage sont au
programme dès la première année scolaire. Ces ateliers pratiques mettent en
relief les aptitudes naturelles de l’enfant, à ressentir ou exprimer des
sensations et des émotions par le langage du toucher. Certains découvrent rapidement
les liens entre leurs peines et leurs tensions, leurs joies et leur bien-être.
C’est le cas de Chloé, une métisse aux yeux animés et aux mains adroites. Elle
a le sens de l’observation.
Dès que j’arrive en classe, Chloé vient vers
moi, s’assoit sur le tapis à ma droite et souri à tout le monde, l’air de dire:
On va se régaler les amis. C’est la meilleure assistante que je n’ai jamais eue.
Il faut dire que nous sommes de vieux complices. Nous nous sommes connus il y a
deux ans, quand elle venait avec sa mère et sa grand-mère à mon studio de
massage. En fait, c’est la grand-mère qui avait recours au massage pour calmer
son dos et ses jambes. Pour s’encourager à être assidue, elle payait une séance
de massage à sa fille qui, étant monoparentale, venait aussi avec son enfant Chloé.
Jocelyne, veuve d’origine haïtienne, mère de
trois solides gaillards et une fille, passe de longue journée à son commerce. C’est
sa fille Lola, enceinte, qui fut la dernière a quitté la maison, pour rejoindre
son revendeur de drogue. L’année suivante, elle était revenue chez sa mère avec
le bébé, car le père avait pris la poudre d’escampette. Jocelyne avait recueilli
sa fille, mais passait tout son temps à sa boutique de cadeaux. Lola détestait
cette boutique et ce qu'elle représentait, la dépendance et le marchandage
incessant. Pour tout dire, rien ne l'intéressait, bien qu'elle appréciait ces
rendez-vous de massage.
C'était un étrange cérémonial. Jocelyne se
faisait masser pendant que sa fille Lola occupait Chloé au salon d’attente. Ou
plutôt c’était Chloé qui cherchait à distraire sa mère. Après son massage,
Jocelyne allait s’allonger sur le fauteuil au salon, et Lola s’installait sur
la table de massage. La petite Chloé demandait toujours à assister au massage.
Elle s’installait sur la chaise de rotin entre deux gros coussins et suivait
avec attention les premières minutes du massage, puis s’assoupissait, bercée
par la douce musique et les fragrances d’huiles essentielles. Cette frimousse
angélique avec sa tignasse bouclée ajoutait un brin de fraîcheur à l'ambiance.
Sens et sensibilitÉ
Le jeudi, c’est l’atelier #6 sur « les concessions :
recevoir et donner ». Chloé s'improvise encore comme assistante et me
donne une brève vue d’ensemble : il y a deux absents, Alexandre et Thomas,
Clara a mal au ventre, Manon et Sarah ont été grondées ce matin parce qu’elles
se chamaillaient. Chloé se souvient pour chacun de ses camarades, s’il a ses
parents, une mère empruntée ou un père temporaire. C'est important pour elle,
de savoir, si ses amies ont un chez-eux ou deux, ou, s’ils vivent chez leur
grand-mère.
Selon Chloé, les enfants qui ont un parent
malade risquent de se retrouver eux aussi à l’hôpital. Je le sais parce que je
suis allé à l’hôpital à Justine, me dit Chloé parce que je m’évanouis trop
souvent. Moi, je n’aime pas ça, parce qu’il y a toujours un clown de malade,
avec une grande bouche qui pue et des cheveux comme la vadrouille à
grand-maman. Il faut faire semblant de rire pour s’en débarrasser. Peut-être
qu’il pense qu’en faisant des grimaces, le temps va passer plus vite. Mais il y
a aussi le pédiatre qui s’ennuie parce qu’il ne sait pas jouer. Quand les amis
sont venus me voir, le pédiatre ne savait pas quoi faire avec eux, parce qu’ils
étaient en santé. Alors que, si tu es malade, il a un jeu de questions où il
faut dire ce qu’on pense. Des fois, je gagnais des pilules. Mais il fallait que
tu surveilles tes réponses, parce que si tu perdais, il te donnait une piqûre.
Cela me fait penser à maman, quand elle était maigre et pleine de trous de
piqûres. Ces yeux étaient toujours humides. Je devais commencer à avoir la même
maladie parce que mes yeux coulaient à moi aussi, quand je la voyais tenir son
ventre. Je pense qu’il était coincé parce qu’elle mangeait trop de pilules et
pas assez de soupe. Elle regardait le plafond comme si elle cherchait quelque
chose. Et souvent, quand on lui parlait, elle n’entendait rien. Une fois j’ai
arrêté de respirer pour voir, c’était quoi être mort, mais j’ai abandonné avant
que ça marche. Parce que ma mère, ç’a marché. Elle a réussi, parce que ça
faisait longtemps qu’elle essayait. Moi j’ai remis ça à plus tard parce que
j’aime ça aller à l’école, surtout pour les cours de massage.
À l’école
un groupe fait la souris qui gratte dans le dos du chat. Les doigts sautillent,
les doigts patinent, et les chats doivent dire ce qu’il aime le mieux. Chloé,
aime apprendre les différentes façons de masser. C’est comme sentir plein de
choses, dit-elle. Sinon, si on ne sent rien, alors c’est comme être mort. J’ai
hâte d’apprendre ce que tu faisais à maman, quand tu lui tirais le bras au-dessus
de la tête et qu’elle souriait en soupirant. Les observations de Chloé m’étonnent
à chaque fois. Les séquences des massages pour sa mère, qu’elle me relate avec
précision, étaient souvent parmi les dernières parties du massage. C’est dire
comment elle devait capter les manoeuvres en ouvrant un œil et aussitôt le
refermer pour goûter au télépathique bien-être. Celui de sa mère et le sien.
Celui de l’autre et le sien. Elle s’initiait, à sa façon, au langage du
toucher. Tant et si bien qu’elle avait développé son propre raisonnement sur la
chose.- Si on ne veut pas être touché, c’est qu’on veut pas jouer. Si on touche
trop fort, c’est qu’on ne sait pas jouer. Si quelqu’un nous touche et puis qu’on
aime pas ça, c’est qu’il faut aller jouer ailleurs ou jouer plus tard. Quand je
vais avoir dix ans, je vais faire du massage et mes clients vont toujours être en
santé. Comme ça, ils n’iront pas à l’hôpital. Parce qu’à l’hôpital même les
adultes passent des examens et quand ils ne réussissent pas, ils les enferment
dans leur chambre. Moi, quand je suis sorti de l’hôpital, j’ai vu une
spychologue parce que des fois les parents donnent leurs maladies aux enfants
et tu n’as pas le droit d’apporter des maladies qui ne sont pas à nous à
l’école. Mais le spycolage, c’est pas du tout comme le bricolage. On touche à
rien et puis on parle trop. C’est fatigant. Si jamais je suis malade, une autre
fois, je n’en parlerai pas, pour ne pas me fatiguer, même si je ne gagne pas de
pilules. De toute façon, ça ne goûte rien. Mais madame la directrice doit en
prendre, elle, des pilules, parce qu’elle est maigre et respire fort comme ma
mère.
C’est sûr, que je vais
faire comme toi quand je serai grande, parce que tu sens bon et tes mains font
toujours du bien. Et puis, quand je masse ma grand-mère, elle me dit que je
suis une surdouée. Ça doit vouloir dire que j’ai les mains douces !
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