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jeudi 29 août 2024

MON PREMIER VRAI MASSAGE

 



Je  note sur la fiche les utiles renseignements et avant de l’inviter à s’installer, je demande à ma jeune cliente Marie-Soleil si elle a déjà reçu un massage?

    Quelle question man, j’en ai eu full! Des super, des flyés pi des capotés. Mais je cherche quelque chose de plus vrai, moins techno, plus énergétique, tsé veux dire. Je m’installe de quelle façon? Est-ce que j’enlève tout? - Est-ce que je garde ma culotte? -Je veux juste savoir c’est quoi la game, je ne suis pas puritaine!  Est-ce que je mets la tête là ? Je m’empresse de la rassurer. Quand c’est la première fois, certaines personnes gardent leur culotte. Elles se rendent vite compte de l’incongruité de la chose. Elles découvrent les savantes manipulations de serviettes et l’avantage des pétrissages salutaires du bassin. Je quitte la pièce pour me laver les mains, la laissant se préparer et se glisser sous les draps.

 

  J'impose mes mains sur son dos pour mesurer la température, le degré de tension et les vibrations, les secondes doivent lui paraître interminables. Je souris en devinant les flots de pensées dans sa tête.

    Ben voyons, y vas-tu commencer? Examinons la situation. Je suis étendue, je suis confortable, allongée sur le ventre, la tête bien calée. Ses mains m’apaisent. Les draps sont doux et chauds. Bon, là j’ai trouvé la posture idéale, là c’est vrai. Je laisse pendre mes bras. Je devrais laisser pendre mes pieds aussi, mais ils sont déjà sur des coussinets, bof! Est-ce que j’ai enlevé mes bas? Bien voyons, je suis nue! Ah oui! la pression me soulage. Ça doit être mes reins, mes lombaires? C’est jouissif, j’aime! En tout cas, c’est bon. Je devrais lui dire, mais il est bien trop loin, au-delà du nuage. Est-ce mon cœur qui bat si fort? Je vois des poissons tropicaux qui se bercent dans un champ de coton où il pleut des fraises. Ouf! Comme sa main est calmante! J’ai l’impression qu’il m’entend penser. Bon sang, quelles sont ces manœuvres? Il y a des parties de mon corps que j’ignorais. Je me perds dans la table, dans les draps, dans le tapis, dans le jus, dans le je ne sais plus quoi! Et puis non j’abandonne, amène-moi ou tu veux.   De toute façon, c’est délicieux. Mais, comment ai-je pu me retourner sur le dos? Mon corps semble soumis à un inventaire de neurones. Je pénètre la géographie des sens, la géométrie des couleurs. Mes neurones ont des formes psychédéliques. Je bascule comme dans une machine à boules de peluche. C’est rythmé, langoureux, paisible. J’espère que le temps ne passe pas trop vite. Est-ce mon téléphone qui sonne? Non, c’est la musique. Au fait, la musique, je n’avais pas remarqué, c’est une ambiance indéfinissable. Et ce fluide qui pénètre ma chair, sensation étrange, qui me rappelle je ne sais quoi de spatial et puis non,  je dois admettre que la sensation est nouvelle.

 

  Je masse un corps réceptif. Son sens tactile est éminemment perspicace. Sa peau mesure les variations rapides, les dérivés des forces de pression ou de la vitesse de glissement. Elle est assurément débordante d’énergie. Marie-Soleil est totalement présente. Son visage est équilibré, sa bouche est entrouverte, ces épaules sont lourdes. Sa peau est démonstrative, les teintes varient selon l’agitation intérieure en harmonie ou en dissonance. Les légères palpitations trahissent probablement un sommeil trouble, car la fatigue se dessine dans le coin interne de l’œil. Elle semble dure avec sa personne et ne pas savoir arrêter. Cela demande une reconnaissance au niveau du sternum et des omoplates avec l’huile essentielle de rose et d’hélychrise, de la nuque et des oreilles avec la menthe poivrée, et du ventre avec le basilic, pour son intestin grêle. Le cerveau de Marie-Soleil baigne dans les ondes alpha, caractéristique du corps flottant entre l’éveil et le sommeil. Un soubresaut la ramène sous les couvertures duveteuses et embaumées. Elle respire profondément. - Prenez votre temps pour vous lever.

 

    J’en ai manqué des bouts, je pense, dit Marie-Soleil. Vers la fin, je voyais une porte s’ouvrir sur les premières lueurs d’un matin mauve. Je ressens encore l’énergie de cet environnement, les odeurs apaisantes, les sons rassurants, les couleurs réconfortantes. Une vigoureuse vague, une puissance atomique. Oui, c’est ça, je pense que tu m’as massé les atomes et que mes neutrons ne seront plus jamais neutres. Je perçois mieux mon corps dans le vide de l’espace mental où les émotions sont intenses. Je, je, je ne sais pas par ou commencer, c’est inexprimable. Et puis zut, je cherche tout simplement à vous dire que j’ai tripé. C’est comme si… c’était mon premier vrai massage!

 

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