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jeudi 6 mars 2025

LECTURE DU VISAGE


   Votre physionomie exprime à tout instant vos sentiments et votre état d’esprit. Les expressions les plus éloquentes se manifestent par le visage. Bien involontairement, notre expression faciale trahira les émotions du moment, notre inquiétude, notre déception, notre dégoût. Si la contrariété se manifeste par le visage, elle est, bien avant tout, d’origine fonctionnelle comme une insuffisance pulmonaire, glandulaire, valvulaire, etc. La couleur et les plis de la peau comme les traits tirés reflètent une faiblesse. Celle-ci sera amplifiée par la nature des contrariétés et l’importance qu’on y accorde. Visages blafard, enflé ou affligé sont des signes qui indiquent des déficiences organiques. Il y a loin, direz-vous, entre une déficience et un trait particulier du visage. Les traits familiaux, pourtant, sont déjà le reflet d’une hérédité organique.

  Nous cherchons souvent à neutraliser ou corriger un œil triste, l’absence de sourire ou une insolente ride. Le navrant fond de teint, les dents trop blanches, les cheveux trop colorés, la peau trop lisse…manifestent, contradictoirement, les mêmes faiblesses. Vieillesse, maladie et fatigue laissent leurs traces malgré les coquetteries visant à les escamoter. L’énergie physiologique exerce une traction sur les muscles du visage. Une baisse de pression ou une respiration restreinte entraînent une carence énergétique et provoquent pâleur de l’épiderme et tension des muscles faciaux.

  Si le corps que l’on masse ne peut mentir, le visage non plus ne peut dissimuler les discordances physiologiques. Le coin interne de l’œil, un menton vigoureux et la barbe forte nous rapportent au Cœur. Le cerne sous les yeux ou une chevelure terne se rapportent au Foie. Il en est ainsi pour le nez démonstratif du Poumon, les oreilles révélatrices du Rein, et les lèvres édifiantes de la Rate.

  Toutes tensions corporelles influencent la fonction circulatoire. Cacher sa peur augmente ses palpitations. Retenir ses émotions amplifie la désorganisation interne. Le tricheur consomme beaucoup d’énergie à dissimuler ses intentions. Cela en fait un modèle de constipation et d’ulcération. Le bluffeur, conscient ou non, dissimulera ses réactions par des gestes masquant les signes d’une émotivité intense, en se frictionnant le front, se massant le menton ou se tirant l’oreille. Toute résistance consciente cherchant à contenir les signes de ces émotions provoque une intensification des tensions.

  Le doigté adéquat pour le massage du visage est facile à acquérir pour qui veut le pratiquer sur soi-même. Pour l’essentiel, il consiste à distendre la peau sous les doigts pour faire circuler le sang et le flux nerveux par des effleurements lents et effectuer des mouvements circulaires sur les points de tensions; ce que tout le monde sait si bien pratiquer en se faisant un shampooing. Il ne faut pas avoir peur de tirer sur l’oreille pour tonifier le muscle temporal et le canal acoustique ou d’enfoncer le bout du pouce sous l’arcade sourcilière et le coin intérieur de l’œil pour tonifier le méridien de la vessie. On peut s’amuser à faire de petits pincements sur les sinus ou à rouler le bout des doigts dans les fosses temporales. Rien ne vous empêche de grimacer en faisant vos manipulations. L’important c’est de réussir à détendre les tensions que vous aurez spontanément repérées. Le masseur doit apprendre à faire le vide mental pour être totalement présent à l’autre.

Aussi, l’épilogue parfait du massage concerne la figure parce qu’il boucle les terminaisons du pôle énergétique positif. Lorsque les contractions physiques de l’ensemble du corps sont désamorcées, il ne reste qu’à effacer les stigmates faciaux.

  Le visage s’égaye lorsque le corps s’épanouit. Il y a bien des chances que la première personne que vous rencontrerez, discerne, par votre expression radieuse, que vous venez de recevoir un sacré bon massage.

samedi 1 mars 2025

ECTOPLASME


   Elle enfila sa tenue de jogging avec violence et alla trimballer sa misère jusqu’au bout du parc pour couiner sa détresse. Puis, tout le corps lâcha. Elle se mit à frémir de la tête aux pieds, sa poitrine déchira dans une complainte. Elle ne voulait pas, elle refusait de décrocher! Se reposer, oui, mais en s’occupant à quelque chose. Y’avait-il quelqu’un dans le monde qui pouvait faire quelque chose pour elle? Elle avait remarqué la petite affiche du masseur en face de l’église. Elle a sonné chez moi, la tête échevelée, une joue bariolée de morve.

***

   Lorsque mes mains se déposent sur son dos, un spasme chasse un gros sanglot. Mon toucher l’interroge. Qui es-tu ? N’as-tu pas, par hasard, besoin d’être entendue, appréciée sans tes prouesses professionnelles, sans l’esprit constamment en alerte, sans nourrir tes chimères? Mes manœuvres exorcisent ces ectoplasmes qui encombrent son corps. C’est qu’ils détestent les massages, les fantômes! Mes mains lentement mais énergiquement débarrassent les toiles d’araignée témoin des émotions séquestrées dans ce corps :

— Tu as de la peine?      — Non.
— Tu as mal?                 — Non, non.
— Que souhaiterais-tu? — Je n’ai besoin de rien, feinte un dernier fantôme.

La carapace commence à fissurer. Ses trapèzes tirent comme des câbles d’acier. Un sanglot s’échappe et puis une brèche s’ouvre pour libérer trente-sept années d’obscures discordances et de frustration. Le vent de mousson provenant de la génération précédente siffle encore sur les branches de son arbre généalogique durement éprouvées par le verglas des hivers de ses jeunes années! Son corps devient transparent. Mes mains portent de plus en plus attention. Son corps comme son cerveau parle un langage précis. Jade Monceau, née le 22 avril 1970, à Pékin. Adopté par des Charlesbourgeois le 14 novembre de la même année. A fait ses études à l’Université Laval, se marie le 24 juillet 2004, se sépare le 9 septembre 2006. Le 7 février 2007, elle obtient le poste convoité d’enseignante à l’université. Depuis cette nomination, le vertige est intenable. Tout cela, elle me le dira après. Pour le moment, mes mains lisent la détresse figée dans ses fibres. Je peux sentir l’enfant qu’elle a été. Je devrais dire, l’oiseau domestique qu’elle a été. Cette fillette qui déployait toute son imagination pour s'intégrer, sentir tangiblement l’estime des autres et d’elle-même. Pourquoi pas dans les bras de quelqu’un? Elle voulait être touchée. N’y avait-il pas cette dichotomie dans une famille apparemment affectueuse? Les cajoleries étaient un trompe-cœur, comme se faire des chatouilles pour imiter la joie de vivre. En réalité, la mère se cantonnait dans sa boutique et le père débonnaire était absent des moments essentiels de la journée. En vieillissant elle s’imaginait enfin méritée cette tendresse profonde et sincère, mais les navrantes cajoleries de ses soupirants cabotins, qui aimaient bien la petite bête exotique, la rebutèrent. Elle s’était inconsciemment conformée aux désirs de ses parents adoptifs. — N’es-tu pas reconnaissante ? Nous voulons être fiers de toi, la famille c’est important.

  Elle était parfaite au travail, parfaite au cours de peinture, parfaite au ménage, parfaite à la course à pied. Une perfection incurable qui ne convergeait vers aucun de ses rêves. Son corps suffoquait sous ses ectoplasmes. Toujours, l’angoisse de décevoir.

Pendant que je masse en douceur la nuque de Jade, elle se délasse sur la table. Une dernière brèche s’ouvre au gré des cascades d’émotion. Apparaît cette douce vague de chaleur. L’instant présent. Elle vit totalement son massage. Sa respiration me dit qu’elle est bien en contact avec elle-même. Pour la première fois de sa vie, elle est au bon endroit, au bon moment.