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jeudi 20 février 2025

CES DÉCEVANTS MASSAGES DE VACANCES


 

  De retour de vacances, certaines de mes clientes rappliquent courbatues et souvent tourmentées par leur aventure dans des centres de santé. C’est le cas d’Ana qui aujourd’hui veut son massage Heza pour effacer sa mésaventure. Elle me raconte son exaspérante journée au supposé luxueux spa nordique. Un décor design, une ambiance sans âme aux effluves empruntés où la musique presque mortuaire cherche à enterrer le grésillement des insectrons. Autour de la piscine, chaque patiente emplâtrer dans son peignoir griffé est affectée à sa chaise longue. Une pluie fine vient taquiner leur crâne et brasser leurs méninges avant de se faire brasser dans le jacuzzi. 

  Pour fuir l’ambiance fabriquée, Ana commit l’impair d’aller se faire masser. Une dame l'a reçu tout attentionnée, tout sourire, lui proposant de réviser son forfait déjà coûteux pour accéder à un massage longue durée. On lui attribua un numéro de loge où l’attente serait de quelques minutes…de très longues minutes.

Ana ne peut s’empêcher d’interpréter la scène avec emphase.

                Vous auriez dû me voir la mine déconfite quand j’ai vu arriver dans la salle de massage le masseur avec un air de jésuite en gougounes, attifé d’un pistolet d’huile sainte à la ceinture! Du coup, l’ambiance de sanatorium s’est métamorphosée en columbarium. Ce freluquet jouant au gars cool me souhaita la bienvenue au paradis. Vous imaginez la comédie, moi comme un agneau sur l’autel du sacrifice et lui le pasteur nomade cherchant à me mettre en confiance. J’eus la sensation désagréable qu’il me prenait pour une pâte à tarte en me pétrissant de son futile bavardage faussement cordial. Ses mains se sont bornées à une corvée expéditrice sans aucune qualité d’écoute.

Catherine, une autre de mes clientes, n’a pas été plus chanceuse à son spa Nature-Santé. Elle aussi ne pouvait s’empêcher de témoigner avec  ironie de  son  frivole traitement.

              Frustré, me dites-vous, mais je suis fru à la puissance dix. La madame voulait me mettre  des petites roches dans le dos pour enlever mes bobos. Réveille madame! Je n’ai pas payé 300 dollars pour qu’on joue au petit Poucet sur ma colonne vertébrale. Ben non, elle en rajoute : un bain au chocolat pour vous gâter?  Ah ça!...Pour tout gâter, j’en étais convaincu. Il n’était pas question que je fasse les frais de fantaisistes attardés. J’avais cette étrange impression d’être dans le pavillon des mabouls, avec dans un coin, une bécasse qui faisandait dans un costume du bonhomme Michelin pour drainer sa lymphe et dans l’autre une lilliputienne macérant dans une gibelotte minérale enveloppée comme une guédille. À voir le troupeau de momies dans le pacage, on devrait baptiser ce genre d’endroit un Spationnement. Vivement quelqu’un d’attentif à ma personne distincte, vivement mon masseur à moi!

Ils ne mâchent pas leurs mots les gens qui vous racontent leurs mésaventures, surtout quand ils ont  puisé dans leurs économies et souhaitaient consacrer un temps précieux à leur bien-être. Je ne peux m’empêcher de vous citer le cas de Gilles et Amina qui se sont accordés une escapade à l’ashram. Gilles avait promis à Amina un petit week-end lumineux.

             Ouais ben,  c’est important de la trouver la lumière à 5 heures du matin quand tu veux aller pisser. Notre cubicule est à l’opposé des cabinets d’aisances du dortoir. La matinale cloche sacrée t’invite avec instance : grouille ma Vishnouille, ça braille déjà dans la salle de prières. Cela donne la nausée ces bouquets d’encens au petit matin. Un genre de comptoir ressemblant à un bar à salade est rempli de statuettes des divinités en accoutrements de marionnettes. Le baragouinage qu’on entend donne l’impression que personne ne récite la même prière. En fait personne ne sait le sens des mots de cette langue et l’interminable litanie a un effet soporifique.

     Je ne suis pas la seule à cogner des clous. C’est encourageant de voir les maîtres canaries drapés, échapper aussi leur tête entre deux jérémiades. J’avais vraiment mal au coeur. Je suis sorti du fumoir au patchouli. Le week-end a duré un jour finalement. J’avais pourtant réservé une séance de massage. Le local était une arrière-boutique avec des étagères poussiéreuses chargées de statuettes, de boîtes d’encens et des piles de livres à cinq sous. On aurait dit des livres à colorer sur Krishna, Mowgli et Gandhi. Une couverture et un coussin chiffonnés reposaient sur le plancher. Une bizarre odeur de yogi préhistorique collait aux narines. La nausée m’a repris. Je me suis enfuie. J’ai encore plus de tensions que jamais.

C’est souvent flatteur de les entendre réclamer un massage de mes mains expertes, selon eux. Je pourrais vous raconter plusieurs autres témoignages du genre et je tente souvent de rassurer les gens qui me font ce type de témoignages. Toute expérience est enrichissante comme tout genre de massage a un intérêt. Mais il est clair que les massages avec accessoires comme les massages aux rites incantatoires sont des divertissements, tout au plus. L’effet positif qu’il provoque, c’est de m’assurer la fidélité de ma clientèle aux prochaines vacances.

 

vendredi 14 février 2025

ITINÉRAIRE D'UNE BRANCHÉE

   Maude avait un look branché. Elle était branchée à tout, la mode, la musique, le web et le maximum d'événements in. Comme toutes les hyperbranchées, elle était débranchée d’elle-même. Les sensations fortes avaient enfoui sa sensibilité. Est-ce pour cela qu'elle n'avait pas senti les signaux avant-coureurs? Elle éprouvait un certain malaise à la tête et quelques fois des étourdissements l'empêchaient de se concentrer. L'entreprise où elle était technicienne en multimédia, lui reprochait de plus en plus ses étourderies, jusqu'au jour où l'effacement d'un fichier informatique eut des conséquences déplorables. Son patron avait exigé qu'elle passe un bilan de santé. Le diagnostic avait révélé, je résume la chose ainsi, une dégénérescence de certaines structures du cerveau.

  Maude devint de plus en plus dépendante physiquement.  Ses proches durent impérativement la soutenir pour lui permettre une qualité de vie convenable. Paradoxalement, son compagnon n’y voyant qu’un comportement brouillon la quitta pour continuer à vaquer à ses activités branchées.  Les visites, de ses copines de plus en plus perplexes, s’espacèrent. La famille commença à trouver la situation difficile et sa mère Alice ressentait une désespérante impuissance. De la voir ainsi, enfoncée dans un silence contemplatif, lui faisait penser à ses voyages de jeunesse, immobile sur un siège d'avion ou sur une banquette de train.  Elle occupait son cerveau pendant que son corps immobilisé se résignait aux longs trajets. Alice trompait les tourbillons de l’esprit en rêvant à son prochain massage. Peut-être que Maude apprécierait une séance.

  À la première visite, Alice doit aider sa fille à s'installer sur la table.  Maude  est blême, les cheveux en broussailles et les yeux hagards. Ces gestes sont lents. Elle glisse son doigt sous l'élastique de sa couche et tire dessus, signifiant vouloir l'enlever. La prochaine fois, réplique sa mère, le "voyage" doit être confortable.  Maude répète, l’œil hagard, voyage, voyage. Une sonnerie de portable retentit. Maude traîne son téléphone programmé pour lui rappeler ces rendez-vous, la prise de ses médicaments et les tâches quotidiennes les plus élémentaires. C’est grâce aux services d’une équipe de recherche de l’université de Sherbrooke intéressé à son cas qu’elle utilise cette ressource pour la surveillance médicale, comme on le fait  pour certains patients souffrant d'Alzheimer.

  Le corps de Maude ne semble pas avoir de motivation. Sa tête va au ralenti et son corps est stagnant. Même le stimulus le plus faible risque de produire une réaction dans la mémoire du corps. Le contact de ma main éveillera inévitablement une sensation.

  Maude est allongée sur le dos et mes mains mobilisent son épaule gauche. La pression est ferme et mes doigts décongestionnent la région claviculaire par des tapotages subtils. Le côté gauche est à ce point tendu, que le corps est courbé vers ce côté. S'agirait-il du rein?           Cela expliquerait ces agissements lents comme une personne extrêmement fatiguée. Ces doigts remuent constamment, c'est donc dire que le système nerveux est concerné. Soudain, elle prononce mon nom et celui de l'école où j'allais au Japon! Étrange! Que se passe-t-il? Son regard vigilant m'indique que sa tête cherche à participer. Elle vient de lire un diplôme accroché au mur. Cela signifie-t-il qu'elle me fait connaître ce que ces yeux captent au passage, ce qu'elle identifie. J'interprète, en considérant plusieurs autres facteurs, que son corps est content d'être là et qu'aucune préoccupation n'encombre sa tête. Et puis, après quelques battements de paupières, ces yeux ferment. Les bras croisés sur sa poitrine, elle semble dans une douce léthargie, on la croirait installée dans une navette spatiale. Le contact apaisant diminue sa pression et sa respiration profonde réclame une énergie fraîche.

  Je l'aide à descendre de la table et à se rhabiller. Elle me dit qu'elle aime la couleur de son chandail, et qu'elle a la vessie pleine. Je lui indique la salle de toilette. Elle y passe de longues minutes à examiner les boutons de la laveuse et de la sécheuse. Elle inspecte chaque interrupteur sur le mur et comme j'entends les cliquetis, je lui demande si elle a besoin d'aide. Elle trouve ma question étrange. Alice va la chercher et la ramène à la salle de massage où elle l’aide à s’asseoir pour qu'elle puisse se concentrer à attacher ses chaussures dans un délai raisonnable.

  Avant de quitter le studio. Maude se retourne comme si elle avait oublié quelque chose d'important. Elle prend une grande respiration et me dit: merci, Pierre, avec un petit signe de la main et un regard perçant. Il me semble avoir compris : je souhaite revenir au plus vite, me brancher sur votre table.

  Sa mère me dira plus tard que Maude a passé le balai partout dans la maison. Elle ne l'avait jamais vu faire ça, de plus, avec autant de minutie. Son téléphone a sonné, indiquant la suite de l'itinéraire. Passer le balai, concernait-il déjà une manière de s'organiser, de revenir à l’instant présent, ou de rêver au prochain voyage?

mardi 11 février 2025

MASSAGES DISSEMBLABLES POUR LES JUMELLES

 

Sylvie est dans tous ses états. Elle a pris un rendez-vous en catastrophe. Tout la contrarie, elle a mal au ventre et a tout le temps froid.

              Ma sœur jumelle est venue vous voir la semaine dernière. Vous l’avez traitée avec une huile essentielle, qui sentait le cognac, qui lui a procuré un grand réconfort.

              Il n'est pas dit, Sylvie, que je vais utiliser les mêmes huiles essentielles d'hélichryse et de sauge sclarée que j’ai employées pour Ariane.

              Comment ça! Nous sommes identiques et la recette devrait s'appliquer aussi pour moi?

              Pourtant non, dans le cas d'un massage énergétique, ce n’est pas un malaise que l’on traite, mais la source de cette douleur. Et vous n’avez pas les mêmes habitudes.

  Ariane est institutrice et pratique le yoga, Sylvie est agente de voyages et pratique le 5 à 7. Les deux considèrent le massage comme un moyen de détente, mais Ariane y voit aussi une forme de méditation dynamique. Pour Sylvie, le massage c’est aller chercher un second souffle, et narguer la fatigue.

 

  Une des particularités du massage personnalisé est d’établir des corrélations. Une épaule contractée, le mollet tendu, la vessie hyperactive ne sont pas des manifestations isolées, mais constituent une chaîne de données. En traitant les différentes parties du corps par segments je n'agirais que partiellement. Pour opérer plus en profondeur sur cette configuration, il est nécessaire d'agir, par exemple, sur les vertèbres lombaires, les points réflexes neuro-lymphatiques et neuro-vasculaires du bassin.

 

 Sylvie porte attention aux huiles essentielles que j’utilise, mais ne s’arrête pas aux déductions qui m’ont permis de fixer mon choix. La sensation de froid qui persiste chez elle ne signifie pas qu’il faut une huile échauffante. Avoir froid indépendamment du climat, signifie souvent une dispersion multiple d'énergie comme un blocage du diaphragme causé par le stress ou une affection digestive.

   Je vais utiliser l’huile de romarin et de girofle avec une base d’huile d’amande douce.

   Bon sang, mais je vais me sentir comme un gâteau.

   C’est une belle métaphore. Le gâteau va absorber les ingrédients et lèvera puisque les huiles propageront la chaleur qui provoquera la détente et stimulera les défenses immunitaires.

Sylvie, en me taquinant, prétend que sa sœur vient me voir plus souvent, parce qu'elle est une petite nature. Je crois plutôt qu'Ariane, en trouvant sa cadence toutes les six semaines, profite de cette douce sensation de ne plus être en état d'urgence, pour savourer son mieux-être. Cette paix mène à un degré de sensibilité du corps et de l'esprit, indissociable, qui désamorce les réflexes de résistance.

  Il n'y a pas de raccourci pour parvenir aux confins les plus obscurs du corps. La main et ses huiles sélectionnées désamorceront le blocage à l’origine de la manifestation du symptôme. Le petit coup de main ne fait que rappeler au corps ce qu’il sait si bien faire, s’autoguérir. Tout le reste n’est que carambolage de fatigue, problème digestif, tension et insomnie, etc.  Ce n'est pas la personne qui s'adapte au massage, c'est le massage qui s'adapte à la personne. Pour apprécier ça, il faut avoir de bonnes jumelles.


dimanche 2 février 2025

HYPOCONDRIE

Elle est en balayage constant de son corps malade pour débusquer les menaces. Et quand tout semble bien aller, elle s’inquiète encore plus. Lorsque Simone vient se faire masser, elle placote continuellement, employant un lexique de désespoir. Elle incarne le parfait compendium des symptômes annonciateurs et des traitements possibles du corps. Un sirop pour le verbe, une granule pour le subjonctif, une capsule pour les mots de ventre. Elle soigne ses traumatismes à la bugrane et au trisilicate de magnésium. Elle bouffe de l'herbe séchée au solstice d'hiver et de la graine de moutarde roussie à la chandelle sacrée de cire d'abeille aseptisée au bicarbonate de plouk! C'est qu'elle est fière la guerrière, de se battre contre ses allergies et ses écorchures. Mais elle est fatiguée Simone. Peut-être épuisée de baptiser des bobos inconnus. Ce que la vie serait moche sans ses conflits ! Et puis, la santé l'anéantirait !

—S'il vous plaît Simone, je vous interromps, encore. Je vous en prie, prenez place sur la table pour qu'enfin votre corps confesse toute la vérité.

Même quand elle ne parle pas, elle est bavarde.

À vrai dire, est-ce nécessaire de tout dire ? Saisira-t-elle d'une phrase à l'autre, que c'est le verbe ÊTRE qui a besoin d'AVOIR. J'avais bien essayé de souligner prestement à Simone, de fermer tous les guillemets, de jeter les virgules, de fermer les portes, et d'ouvrir la fenêtre et sautez …

—"Seigneur !", s'écrie Simone, ouvrant aussi vite d'autres guillemets, " Vous n'êtes pas en train de me dire de sauter par la fenêtre ?"

—Mais non, de sauter sur votre matelas, de danser, aux quatre vents, de lâcher votre fou…

—Est-ce bien ce que je fais, je m’exprime, je m’expulse, je m’extériorise, je m’ex…toutes

—Le bon point d’interrogation c’est de vous écouter…en silence.

Pour autant, j'admets que c'est facile de la détendre. C'est que je me suis dit tout à coup;  elle m'a contaminé! Je suis aussi bavard qu'elle, avec mes mains. Et je me suis mis à apprécier ces ex-machins et ces guillemets. Elle est extraordinaire, cette personne, elle est si différente de moi. Elle est éblouissante avec ses litanies au superlatif infinies. Elle est belle avec son sourire d'ange, surprise de baigner dans cette muette béatitude. Car l'énergie a fini par circuler jusqu’à ces ex…trémités.

Mais Simone n'avait pas dit son dernier mot.

—Je ne me suis jamais senti comme ça ! Comprenez-vous que là, j'avais une crampe ici et un spasme là… Quelle huile essentielle avez –vous utilisée ?  Est-ce que vous en vendez ?"…

—"NON". J'ai fermé les guillemets. Point final!

—!!! Alors, je voudrais prendre un autre rendez-vous ?

J'ai ouvert mon agenda et j'ai écrit minutieusement (Simone) en lettres carrées, entre deux bonnes parenthèses souriantes et confortables.