J’ouvre la porte, le vent soufflait si fort que Thania
est entrée dans le vestibule sans marcher. Elle portait des paquets qui la
maintenaient en équilibre. « Tu viens d’aller faire tes courses? »
-« Non, c’est pour toi, de la part de la famille Levchenko. Des surprises
pour finir l’année en beauté. » - Beauté dites-vous! Tout est beau
aujourd’hui : la neige, une douce émanation de bien-être, une cliente
joyeuse et un sourire de lumière.
Ils ont tous ce sourire radieux dans cette famille d’origine
ukrainienne. Les filles ont les yeux bleus et les gars ont les cheveux blonds.
Nadya et Serge ont les gènes robustes. Leurs enfants Thania et Greg en ont
hérité. Quand l’un d’eux arrive, il y a toujours un vent de fraîcheur dans ma
salle de massage. Aujourd’hui, le vent a bon coeur. En gratouillant les papiers
d’emballage, je découvre un pain rouge à la mélasse de betterave, une confiture
de prunes au genièvre, un kutia au noix et un pot de golubsi, cigares aux choux
dans une sauce crémeuse à la tomate. Comme il est doux de recevoir! Je ne
trouve pas les mots. Je m’exprime mieux en massant qu’en parlant. Thania essaye
d’atténuer mon émoi : « Ce ne sont que des petites pensées, dit-elle,
quand on pense à tout vos bons soins! »
Qu’elle est belle, cette sympathie familiale qui engendre cette
chaleur humaine! Je pense aux Gauthier qui ces derniers jours sont venus en
rafale. Marie-Claude, la plus jeune, fût la première à venir se faire masser il
y quelques années. Elle persuada son père de recevoir le premier massage de sa
vie à 60 ans. Cela a disposé sa mère à renouer avec le massage, mais avec une
attitude nouvelle, s’accorder du bon temps en toute confiance. Et le grand
frère, pour ne pas être en reste, était venu avec nonchalance, mais ne rate
plus aucune occasion pour se détendre. Il y a aussi les Gagnon qui sont venus
l’un après l’autre, pour briser les sempiternelles litanies des malaises
articulaires. Ils ont ainsi cessé de fixer sur les symptômes des générations
précédentes.
Thania profite de la séance de déballage pour
raconter :
— Quand
nous habitions tous à la maison, et que ça bavardait massage, nous parlions de
la relation de nos faiblesses avec nos défauts; mes entorses faciles avec mes
reins paresseux, l’asthme de ma mère avec ses excès d’épices, la calvitie de
mon père avec sa vésicule engorgée, les saignements de nez de mon frère avec
ses problèmes de gros intestin. Avec le temps et surtout depuis qu’on ne se
rencontre qu’à tous les deux dimanches, la famille parlent des solutions
suggérées par le massothérapeute plutôt que de se lamenter sur nos malaises.
La famille de Daniel Gagnon aussi avait aussi secoué ses
branches généalogiques. À chaque fois que cela n’allait pas, on accusait un
gène calamiteux. Jusqu’au jour ou les massages ont suggéré un autre angle, un
autre langage. Tout s’est réglé naturellement quand parents et enfants ont
remplacé leurs doléances par le partage des manifestations physiques de leur
mieux-être.
Thania fait partie des clientes exceptionnelles que j’ai
massées pour la première fois dans le ventre de leur mère. Je discerne ces
tensions régulières autant que les signes de nervosité des grands évènements.
Aussi son visage radieux et ces petites rougeurs vont m'annoncer une nouvelle.
C’est la beauté de mon métier. On vient souvent voir le masseur parce qu’on a
un examen ou une entrevue à passé le lendemain. Parce qu’on est à la veille
d’une grande décision ou parce que c’est notre anniversaire.
— Je
suis enceinte de neuf semaines, » me dit Thania.
— Comme
c’est beau ! C’est comme un grand chelem. Avoir massé, la mère, l’enfant dans
son ventre, l’enfant qui a grandi et l’autre descendant qui s’en vient. Ça
donne le goût de chanter.
Ce petit gène va pointer son nez rouge dans quelques mois pour
répandre la joie dans la famille. Vous avez déjà senti cette fébrilité quand
une chorale s’égosille d’allégresse, parce que le ciel est bleu, que l’astre
luit et qu’une brise vous caresse le coeur. C’est cette intensité, cette foi
qui transporte les plus belles promesses, puisque c’est en vous que vous
croyez.
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