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mardi 24 décembre 2024

JOYEUX NOËL


 RENAÎTRE

  Je le connais depuis toujours, mais c'est la première fois qu'il vient me voir en chair et en os. Saisi d'étonnement, je veux lui parler, mais je suis sans voix. D'un geste affable, je le dirige vers ma salle de massage. Il est fin près pour la séance, puisqu'il n'a qu'à dénouer la modeste étoffe qui lui sert de vêtement. Je désigne de mes mains ouvertes l'appuie-tête pour qu'il s'installe. Il m'indique à son tour son crâne.

   Aidez-moi à enlever cette couronne, la tête me pique.

   Oui, c’est un épineux problème. Y a-t-il d’autres parties du corps où il y a inconfort?

   Mes bras sont engourdis, j'ai des plaies aux mains et aux pieds et j'ai une côte sensible.

***

Au presbytère au coin de la rue, le curé de la paroisse discute énergiquement avec le nouveau bedeau.

   Vous me dites que le christ est disparu de la croix! C’est une mauvaise blague?

   Je suis sérieux monsieur le curé. La croix est vide et les clous gisent sur le sol. La porte de la balustrade est ouverte et la plupart des lampions, du même côté, sont éteints, comme s'il y avait eu un grand coup de vent.

Le bedeau sort son téléphone intelligent et lui montre la photo qu'il vient de prendre. Le curé jette un coup d'oeil distrait, et détourne le regard vers le plafond, comme s'il implorait le ciel. Il trouve le nouveau bedeau un peu bizarre avec son portable qu'il consulte à tout moment pour gérer son travail d’entretien.

   Voyons donc, bedeau! Parlez-vous de la croix de la sacristie, il n’y a jamais eu personne sur la croix.

   Regardez bien monsieur le curé, il s'agit de la croix de la nef!

Le curé feignant, cette fois, de s'attarder à  la photo révélatrice tente de flairer l'haleine du bedeau. Aurait-il un penchant pour le vin de messe? Il est vrai que le bedeau semble nerveux depuis quelque temps. Est-il dépassé par ses récentes fonctions, les préparatifs de Noël, la réfection des vêtements sacerdotaux, la commande de cierges, les missels pour les enfants de chœur, l’encens, l’eau bénite.

   Écoutez, monsieur le curé, nous allons nous rendre dans la nef et vous verrez que la croix est vraiment vide. Rejoignons-nous au portique. Je vais désamorcer le système d’alarme.

***

J'achève de masser son dos stigmatisé par la flagellation, quand il murmure d’une voix solennelle :"Approchez-vous de la table et accueillez le corps du christ.

   M'avez-vous parlé?

   Non non, c'est une habitude, je me parle souvent comme ça. Ma mère était souvent seule et avait cette tendance à se parler. Même à ma conception, elle était seule, imaginez! C'est elle, d'ailleurs, qui m'envoie. Elle est venue vous voir au mois de mai dernier pour son ventre capricieux. Elle a beaucoup apprécié cette douceur et surtout cette impression vive de bien-être. La tendresse est ce qu'il y a de plus rare en ce monde et trop souvent l'amour de son prochain ne se manifeste que par un débordement de richesse et de superficialités. Si bien que les fervents ne voient aujourd'hui que de majestueuses cathédrales, des cérémonies fastueuses, des cardinaux travestis de costumes étincelants. On ne remarque que l'édifice et les ornementations, on ne voit plus l'essentiel. Vous savez je ne suis plus qu'un symbole et je suis vidé de renaître chaque hiver et de mourir chaque printemps. 

***

Pendant que le bedeau ouvre les portes centrales, le curé, d’un pas rapide, le devance et se dirige vers le maître-autel. Il constate que le christ est sur sa croix, mais dans une curieuse de posture. Un coussin de paille provenant de la crèche réconforte ses pieds mal en point. Ces bras sont soutenus par des serviettes de ratine transformées en manchons. Les lampions apportent une douce ambiance tamisée. Le  bedeau,  les yeux exorbités, est médusé.

    Mais, c'est impossible. Pourquoi cette escapade mystérieuse?

    Ah oui, une disparition dites-vous! Moi, bedeau, je suis convaincu qu'il s'agit d'un facétieux mécréant.

Le curé fait demi-tour en maugréant.

    Comme si on avait besoin d'attirer l'attention!Et comment tout cela est-il arrivé? Le système d'alarme n'était-il pas en place?

Le bedeau, courant derrière, cherche à calmer son emportement:

   Mais attendez, il doit y avoir une explication, je vous donne ma parole, il est revenu, c'est tout. Il n’a pas fait ça tout seul. Vous ne l’avez pas remarqué en célébrant la messe de ce matin?

Le curé se retourna avec de gros yeux.

—      Vous croyez peut-être que je n'ai que ça à faire, contempler le christ sur la croix. En revanche, je vous trouve le visage pâle. Est-ce que vous prenez des médicaments ? Est-ce votre trucmuche de téléphone qui vous brouille la vue ou vous fait halluciner?

C’est plutôt vous, monsieur le curé qui, confiné dans votre église, ne connaissez pas les autres ressources qui vous permettraient d’être réconforté et de vivre l’âme en paix. Vous pourriez vous permettre de sortir de votre église, de temps en temps!

Le curé, d'un regard perçant, leva un peu le ton.

—      Voulez-vous dire qu'en ce lieu sacré vous n'êtes pas entre bonnes mains?

   Ce que je dis, c'est qu'il faut expérimenter, oser faire les choses que l’on souhaite faire depuis longtemps, sans faire un chemin de croix.

Le bedeau remit en fonction le système d'alarme et demanda au curé d'éteindre. Les deux hommes sortirent de l'église, en discutant de façon plus conciliante.

 L'homme sur la croix avait un air très détendu, je dirais même plus, un air de satisfaction.

 

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