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jeudi 6 mars 2025

LECTURE DU VISAGE


   Votre physionomie exprime à tout instant vos sentiments et votre état d’esprit. Les expressions les plus éloquentes se manifestent par le visage. Bien involontairement, notre expression faciale trahira les émotions du moment, notre inquiétude, notre déception, notre dégoût. Si la contrariété se manifeste par le visage, elle est, bien avant tout, d’origine fonctionnelle comme une insuffisance pulmonaire, glandulaire, valvulaire, etc. La couleur et les plis de la peau comme les traits tirés reflètent une faiblesse. Celle-ci sera amplifiée par la nature des contrariétés et l’importance qu’on y accorde. Visages blafard, enflé ou affligé sont des signes qui indiquent des déficiences organiques. Il y a loin, direz-vous, entre une déficience et un trait particulier du visage. Les traits familiaux, pourtant, sont déjà le reflet d’une hérédité organique.

  Nous cherchons souvent à neutraliser ou corriger un œil triste, l’absence de sourire ou une insolente ride. Le navrant fond de teint, les dents trop blanches, les cheveux trop colorés, la peau trop lisse…manifestent, contradictoirement, les mêmes faiblesses. Vieillesse, maladie et fatigue laissent leurs traces malgré les coquetteries visant à les escamoter. L’énergie physiologique exerce une traction sur les muscles du visage. Une baisse de pression ou une respiration restreinte entraînent une carence énergétique et provoquent pâleur de l’épiderme et tension des muscles faciaux.

  Si le corps que l’on masse ne peut mentir, le visage non plus ne peut dissimuler les discordances physiologiques. Le coin interne de l’œil, un menton vigoureux et la barbe forte nous rapportent au Cœur. Le cerne sous les yeux ou une chevelure terne se rapportent au Foie. Il en est ainsi pour le nez démonstratif du Poumon, les oreilles révélatrices du Rein, et les lèvres édifiantes de la Rate.

  Toutes tensions corporelles influencent la fonction circulatoire. Cacher sa peur augmente ses palpitations. Retenir ses émotions amplifie la désorganisation interne. Le tricheur consomme beaucoup d’énergie à dissimuler ses intentions. Cela en fait un modèle de constipation et d’ulcération. Le bluffeur, conscient ou non, dissimulera ses réactions par des gestes masquant les signes d’une émotivité intense, en se frictionnant le front, se massant le menton ou se tirant l’oreille. Toute résistance consciente cherchant à contenir les signes de ces émotions provoque une intensification des tensions.

  Le doigté adéquat pour le massage du visage est facile à acquérir pour qui veut le pratiquer sur soi-même. Pour l’essentiel, il consiste à distendre la peau sous les doigts pour faire circuler le sang et le flux nerveux par des effleurements lents et effectuer des mouvements circulaires sur les points de tensions; ce que tout le monde sait si bien pratiquer en se faisant un shampooing. Il ne faut pas avoir peur de tirer sur l’oreille pour tonifier le muscle temporal et le canal acoustique ou d’enfoncer le bout du pouce sous l’arcade sourcilière et le coin intérieur de l’œil pour tonifier le méridien de la vessie. On peut s’amuser à faire de petits pincements sur les sinus ou à rouler le bout des doigts dans les fosses temporales. Rien ne vous empêche de grimacer en faisant vos manipulations. L’important c’est de réussir à détendre les tensions que vous aurez spontanément repérées. Le masseur doit apprendre à faire le vide mental pour être totalement présent à l’autre.

Aussi, l’épilogue parfait du massage concerne la figure parce qu’il boucle les terminaisons du pôle énergétique positif. Lorsque les contractions physiques de l’ensemble du corps sont désamorcées, il ne reste qu’à effacer les stigmates faciaux.

  Le visage s’égaye lorsque le corps s’épanouit. Il y a bien des chances que la première personne que vous rencontrerez, discerne, par votre expression radieuse, que vous venez de recevoir un sacré bon massage.

samedi 1 mars 2025

ECTOPLASME


   Elle enfila sa tenue de jogging avec violence et alla trimballer sa misère jusqu’au bout du parc pour couiner sa détresse. Puis, tout le corps lâcha. Elle se mit à frémir de la tête aux pieds, sa poitrine déchira dans une complainte. Elle ne voulait pas, elle refusait de décrocher! Se reposer, oui, mais en s’occupant à quelque chose. Y’avait-il quelqu’un dans le monde qui pouvait faire quelque chose pour elle? Elle avait remarqué la petite affiche du masseur en face de l’église. Elle a sonné chez moi, la tête échevelée, une joue bariolée de morve.

***

   Lorsque mes mains se déposent sur son dos, un spasme chasse un gros sanglot. Mon toucher l’interroge. Qui es-tu ? N’as-tu pas, par hasard, besoin d’être entendue, appréciée sans tes prouesses professionnelles, sans l’esprit constamment en alerte, sans nourrir tes chimères? Mes manœuvres exorcisent ces ectoplasmes qui encombrent son corps. C’est qu’ils détestent les massages, les fantômes! Mes mains lentement mais énergiquement débarrassent les toiles d’araignée témoin des émotions séquestrées dans ce corps :

— Tu as de la peine?      — Non.
— Tu as mal?                 — Non, non.
— Que souhaiterais-tu? — Je n’ai besoin de rien, feinte un dernier fantôme.

La carapace commence à fissurer. Ses trapèzes tirent comme des câbles d’acier. Un sanglot s’échappe et puis une brèche s’ouvre pour libérer trente-sept années d’obscures discordances et de frustration. Le vent de mousson provenant de la génération précédente siffle encore sur les branches de son arbre généalogique durement éprouvées par le verglas des hivers de ses jeunes années! Son corps devient transparent. Mes mains portent de plus en plus attention. Son corps comme son cerveau parle un langage précis. Jade Monceau, née le 22 avril 1970, à Pékin. Adopté par des Charlesbourgeois le 14 novembre de la même année. A fait ses études à l’Université Laval, se marie le 24 juillet 2004, se sépare le 9 septembre 2006. Le 7 février 2007, elle obtient le poste convoité d’enseignante à l’université. Depuis cette nomination, le vertige est intenable. Tout cela, elle me le dira après. Pour le moment, mes mains lisent la détresse figée dans ses fibres. Je peux sentir l’enfant qu’elle a été. Je devrais dire, l’oiseau domestique qu’elle a été. Cette fillette qui déployait toute son imagination pour s'intégrer, sentir tangiblement l’estime des autres et d’elle-même. Pourquoi pas dans les bras de quelqu’un? Elle voulait être touchée. N’y avait-il pas cette dichotomie dans une famille apparemment affectueuse? Les cajoleries étaient un trompe-cœur, comme se faire des chatouilles pour imiter la joie de vivre. En réalité, la mère se cantonnait dans sa boutique et le père débonnaire était absent des moments essentiels de la journée. En vieillissant elle s’imaginait enfin méritée cette tendresse profonde et sincère, mais les navrantes cajoleries de ses soupirants cabotins, qui aimaient bien la petite bête exotique, la rebutèrent. Elle s’était inconsciemment conformée aux désirs de ses parents adoptifs. — N’es-tu pas reconnaissante ? Nous voulons être fiers de toi, la famille c’est important.

  Elle était parfaite au travail, parfaite au cours de peinture, parfaite au ménage, parfaite à la course à pied. Une perfection incurable qui ne convergeait vers aucun de ses rêves. Son corps suffoquait sous ses ectoplasmes. Toujours, l’angoisse de décevoir.

Pendant que je masse en douceur la nuque de Jade, elle se délasse sur la table. Une dernière brèche s’ouvre au gré des cascades d’émotion. Apparaît cette douce vague de chaleur. L’instant présent. Elle vit totalement son massage. Sa respiration me dit qu’elle est bien en contact avec elle-même. Pour la première fois de sa vie, elle est au bon endroit, au bon moment.

jeudi 20 février 2025

CES DÉCEVANTS MASSAGES DE VACANCES


 

  De retour de vacances, certaines de mes clientes rappliquent courbatues et souvent tourmentées par leur aventure dans des centres de santé. C’est le cas d’Ana qui aujourd’hui veut son massage Heza pour effacer sa mésaventure. Elle me raconte son exaspérante journée au supposé luxueux spa nordique. Un décor design, une ambiance sans âme aux effluves empruntés où la musique presque mortuaire cherche à enterrer le grésillement des insectrons. Autour de la piscine, chaque patiente emplâtrer dans son peignoir griffé est affectée à sa chaise longue. Une pluie fine vient taquiner leur crâne et brasser leurs méninges avant de se faire brasser dans le jacuzzi. 

  Pour fuir l’ambiance fabriquée, Ana commit l’impair d’aller se faire masser. Une dame l'a reçu tout attentionnée, tout sourire, lui proposant de réviser son forfait déjà coûteux pour accéder à un massage longue durée. On lui attribua un numéro de loge où l’attente serait de quelques minutes…de très longues minutes.

Ana ne peut s’empêcher d’interpréter la scène avec emphase.

                Vous auriez dû me voir la mine déconfite quand j’ai vu arriver dans la salle de massage le masseur avec un air de jésuite en gougounes, attifé d’un pistolet d’huile sainte à la ceinture! Du coup, l’ambiance de sanatorium s’est métamorphosée en columbarium. Ce freluquet jouant au gars cool me souhaita la bienvenue au paradis. Vous imaginez la comédie, moi comme un agneau sur l’autel du sacrifice et lui le pasteur nomade cherchant à me mettre en confiance. J’eus la sensation désagréable qu’il me prenait pour une pâte à tarte en me pétrissant de son futile bavardage faussement cordial. Ses mains se sont bornées à une corvée expéditrice sans aucune qualité d’écoute.

Catherine, une autre de mes clientes, n’a pas été plus chanceuse à son spa Nature-Santé. Elle aussi ne pouvait s’empêcher de témoigner avec  ironie de  son  frivole traitement.

              Frustré, me dites-vous, mais je suis fru à la puissance dix. La madame voulait me mettre  des petites roches dans le dos pour enlever mes bobos. Réveille madame! Je n’ai pas payé 300 dollars pour qu’on joue au petit Poucet sur ma colonne vertébrale. Ben non, elle en rajoute : un bain au chocolat pour vous gâter?  Ah ça!...Pour tout gâter, j’en étais convaincu. Il n’était pas question que je fasse les frais de fantaisistes attardés. J’avais cette étrange impression d’être dans le pavillon des mabouls, avec dans un coin, une bécasse qui faisandait dans un costume du bonhomme Michelin pour drainer sa lymphe et dans l’autre une lilliputienne macérant dans une gibelotte minérale enveloppée comme une guédille. À voir le troupeau de momies dans le pacage, on devrait baptiser ce genre d’endroit un Spationnement. Vivement quelqu’un d’attentif à ma personne distincte, vivement mon masseur à moi!

Ils ne mâchent pas leurs mots les gens qui vous racontent leurs mésaventures, surtout quand ils ont  puisé dans leurs économies et souhaitaient consacrer un temps précieux à leur bien-être. Je ne peux m’empêcher de vous citer le cas de Gilles et Amina qui se sont accordés une escapade à l’ashram. Gilles avait promis à Amina un petit week-end lumineux.

             Ouais ben,  c’est important de la trouver la lumière à 5 heures du matin quand tu veux aller pisser. Notre cubicule est à l’opposé des cabinets d’aisances du dortoir. La matinale cloche sacrée t’invite avec instance : grouille ma Vishnouille, ça braille déjà dans la salle de prières. Cela donne la nausée ces bouquets d’encens au petit matin. Un genre de comptoir ressemblant à un bar à salade est rempli de statuettes des divinités en accoutrements de marionnettes. Le baragouinage qu’on entend donne l’impression que personne ne récite la même prière. En fait personne ne sait le sens des mots de cette langue et l’interminable litanie a un effet soporifique.

     Je ne suis pas la seule à cogner des clous. C’est encourageant de voir les maîtres canaries drapés, échapper aussi leur tête entre deux jérémiades. J’avais vraiment mal au coeur. Je suis sorti du fumoir au patchouli. Le week-end a duré un jour finalement. J’avais pourtant réservé une séance de massage. Le local était une arrière-boutique avec des étagères poussiéreuses chargées de statuettes, de boîtes d’encens et des piles de livres à cinq sous. On aurait dit des livres à colorer sur Krishna, Mowgli et Gandhi. Une couverture et un coussin chiffonnés reposaient sur le plancher. Une bizarre odeur de yogi préhistorique collait aux narines. La nausée m’a repris. Je me suis enfuie. J’ai encore plus de tensions que jamais.

C’est souvent flatteur de les entendre réclamer un massage de mes mains expertes, selon eux. Je pourrais vous raconter plusieurs autres témoignages du genre et je tente souvent de rassurer les gens qui me font ce type de témoignages. Toute expérience est enrichissante comme tout genre de massage a un intérêt. Mais il est clair que les massages avec accessoires comme les massages aux rites incantatoires sont des divertissements, tout au plus. L’effet positif qu’il provoque, c’est de m’assurer la fidélité de ma clientèle aux prochaines vacances.

 

vendredi 14 février 2025

ITINÉRAIRE D'UNE BRANCHÉE

   Maude avait un look branché. Elle était branchée à tout, la mode, la musique, le web et le maximum d'événements in. Comme toutes les hyperbranchées, elle était débranchée d’elle-même. Les sensations fortes avaient enfoui sa sensibilité. Est-ce pour cela qu'elle n'avait pas senti les signaux avant-coureurs? Elle éprouvait un certain malaise à la tête et quelques fois des étourdissements l'empêchaient de se concentrer. L'entreprise où elle était technicienne en multimédia, lui reprochait de plus en plus ses étourderies, jusqu'au jour où l'effacement d'un fichier informatique eut des conséquences déplorables. Son patron avait exigé qu'elle passe un bilan de santé. Le diagnostic avait révélé, je résume la chose ainsi, une dégénérescence de certaines structures du cerveau.

  Maude devint de plus en plus dépendante physiquement.  Ses proches durent impérativement la soutenir pour lui permettre une qualité de vie convenable. Paradoxalement, son compagnon n’y voyant qu’un comportement brouillon la quitta pour continuer à vaquer à ses activités branchées.  Les visites, de ses copines de plus en plus perplexes, s’espacèrent. La famille commença à trouver la situation difficile et sa mère Alice ressentait une désespérante impuissance. De la voir ainsi, enfoncée dans un silence contemplatif, lui faisait penser à ses voyages de jeunesse, immobile sur un siège d'avion ou sur une banquette de train.  Elle occupait son cerveau pendant que son corps immobilisé se résignait aux longs trajets. Alice trompait les tourbillons de l’esprit en rêvant à son prochain massage. Peut-être que Maude apprécierait une séance.

  À la première visite, Alice doit aider sa fille à s'installer sur la table.  Maude  est blême, les cheveux en broussailles et les yeux hagards. Ces gestes sont lents. Elle glisse son doigt sous l'élastique de sa couche et tire dessus, signifiant vouloir l'enlever. La prochaine fois, réplique sa mère, le "voyage" doit être confortable.  Maude répète, l’œil hagard, voyage, voyage. Une sonnerie de portable retentit. Maude traîne son téléphone programmé pour lui rappeler ces rendez-vous, la prise de ses médicaments et les tâches quotidiennes les plus élémentaires. C’est grâce aux services d’une équipe de recherche de l’université de Sherbrooke intéressé à son cas qu’elle utilise cette ressource pour la surveillance médicale, comme on le fait  pour certains patients souffrant d'Alzheimer.

  Le corps de Maude ne semble pas avoir de motivation. Sa tête va au ralenti et son corps est stagnant. Même le stimulus le plus faible risque de produire une réaction dans la mémoire du corps. Le contact de ma main éveillera inévitablement une sensation.

  Maude est allongée sur le dos et mes mains mobilisent son épaule gauche. La pression est ferme et mes doigts décongestionnent la région claviculaire par des tapotages subtils. Le côté gauche est à ce point tendu, que le corps est courbé vers ce côté. S'agirait-il du rein?           Cela expliquerait ces agissements lents comme une personne extrêmement fatiguée. Ces doigts remuent constamment, c'est donc dire que le système nerveux est concerné. Soudain, elle prononce mon nom et celui de l'école où j'allais au Japon! Étrange! Que se passe-t-il? Son regard vigilant m'indique que sa tête cherche à participer. Elle vient de lire un diplôme accroché au mur. Cela signifie-t-il qu'elle me fait connaître ce que ces yeux captent au passage, ce qu'elle identifie. J'interprète, en considérant plusieurs autres facteurs, que son corps est content d'être là et qu'aucune préoccupation n'encombre sa tête. Et puis, après quelques battements de paupières, ces yeux ferment. Les bras croisés sur sa poitrine, elle semble dans une douce léthargie, on la croirait installée dans une navette spatiale. Le contact apaisant diminue sa pression et sa respiration profonde réclame une énergie fraîche.

  Je l'aide à descendre de la table et à se rhabiller. Elle me dit qu'elle aime la couleur de son chandail, et qu'elle a la vessie pleine. Je lui indique la salle de toilette. Elle y passe de longues minutes à examiner les boutons de la laveuse et de la sécheuse. Elle inspecte chaque interrupteur sur le mur et comme j'entends les cliquetis, je lui demande si elle a besoin d'aide. Elle trouve ma question étrange. Alice va la chercher et la ramène à la salle de massage où elle l’aide à s’asseoir pour qu'elle puisse se concentrer à attacher ses chaussures dans un délai raisonnable.

  Avant de quitter le studio. Maude se retourne comme si elle avait oublié quelque chose d'important. Elle prend une grande respiration et me dit: merci, Pierre, avec un petit signe de la main et un regard perçant. Il me semble avoir compris : je souhaite revenir au plus vite, me brancher sur votre table.

  Sa mère me dira plus tard que Maude a passé le balai partout dans la maison. Elle ne l'avait jamais vu faire ça, de plus, avec autant de minutie. Son téléphone a sonné, indiquant la suite de l'itinéraire. Passer le balai, concernait-il déjà une manière de s'organiser, de revenir à l’instant présent, ou de rêver au prochain voyage?

mardi 11 février 2025

MASSAGES DISSEMBLABLES POUR LES JUMELLES

 

Sylvie est dans tous ses états. Elle a pris un rendez-vous en catastrophe. Tout la contrarie, elle a mal au ventre et a tout le temps froid.

              Ma sœur jumelle est venue vous voir la semaine dernière. Vous l’avez traitée avec une huile essentielle, qui sentait le cognac, qui lui a procuré un grand réconfort.

              Il n'est pas dit, Sylvie, que je vais utiliser les mêmes huiles essentielles d'hélichryse et de sauge sclarée que j’ai employées pour Ariane.

              Comment ça! Nous sommes identiques et la recette devrait s'appliquer aussi pour moi?

              Pourtant non, dans le cas d'un massage énergétique, ce n’est pas un malaise que l’on traite, mais la source de cette douleur. Et vous n’avez pas les mêmes habitudes.

  Ariane est institutrice et pratique le yoga, Sylvie est agente de voyages et pratique le 5 à 7. Les deux considèrent le massage comme un moyen de détente, mais Ariane y voit aussi une forme de méditation dynamique. Pour Sylvie, le massage c’est aller chercher un second souffle, et narguer la fatigue.

 

  Une des particularités du massage personnalisé est d’établir des corrélations. Une épaule contractée, le mollet tendu, la vessie hyperactive ne sont pas des manifestations isolées, mais constituent une chaîne de données. En traitant les différentes parties du corps par segments je n'agirais que partiellement. Pour opérer plus en profondeur sur cette configuration, il est nécessaire d'agir, par exemple, sur les vertèbres lombaires, les points réflexes neuro-lymphatiques et neuro-vasculaires du bassin.

 

 Sylvie porte attention aux huiles essentielles que j’utilise, mais ne s’arrête pas aux déductions qui m’ont permis de fixer mon choix. La sensation de froid qui persiste chez elle ne signifie pas qu’il faut une huile échauffante. Avoir froid indépendamment du climat, signifie souvent une dispersion multiple d'énergie comme un blocage du diaphragme causé par le stress ou une affection digestive.

   Je vais utiliser l’huile de romarin et de girofle avec une base d’huile d’amande douce.

   Bon sang, mais je vais me sentir comme un gâteau.

   C’est une belle métaphore. Le gâteau va absorber les ingrédients et lèvera puisque les huiles propageront la chaleur qui provoquera la détente et stimulera les défenses immunitaires.

Sylvie, en me taquinant, prétend que sa sœur vient me voir plus souvent, parce qu'elle est une petite nature. Je crois plutôt qu'Ariane, en trouvant sa cadence toutes les six semaines, profite de cette douce sensation de ne plus être en état d'urgence, pour savourer son mieux-être. Cette paix mène à un degré de sensibilité du corps et de l'esprit, indissociable, qui désamorce les réflexes de résistance.

  Il n'y a pas de raccourci pour parvenir aux confins les plus obscurs du corps. La main et ses huiles sélectionnées désamorceront le blocage à l’origine de la manifestation du symptôme. Le petit coup de main ne fait que rappeler au corps ce qu’il sait si bien faire, s’autoguérir. Tout le reste n’est que carambolage de fatigue, problème digestif, tension et insomnie, etc.  Ce n'est pas la personne qui s'adapte au massage, c'est le massage qui s'adapte à la personne. Pour apprécier ça, il faut avoir de bonnes jumelles.


dimanche 2 février 2025

HYPOCONDRIE

Elle est en balayage constant de son corps malade pour débusquer les menaces. Et quand tout semble bien aller, elle s’inquiète encore plus. Lorsque Simone vient se faire masser, elle placote continuellement, employant un lexique de désespoir. Elle incarne le parfait compendium des symptômes annonciateurs et des traitements possibles du corps. Un sirop pour le verbe, une granule pour le subjonctif, une capsule pour les mots de ventre. Elle soigne ses traumatismes à la bugrane et au trisilicate de magnésium. Elle bouffe de l'herbe séchée au solstice d'hiver et de la graine de moutarde roussie à la chandelle sacrée de cire d'abeille aseptisée au bicarbonate de plouk! C'est qu'elle est fière la guerrière, de se battre contre ses allergies et ses écorchures. Mais elle est fatiguée Simone. Peut-être épuisée de baptiser des bobos inconnus. Ce que la vie serait moche sans ses conflits ! Et puis, la santé l'anéantirait !

—S'il vous plaît Simone, je vous interromps, encore. Je vous en prie, prenez place sur la table pour qu'enfin votre corps confesse toute la vérité.

Même quand elle ne parle pas, elle est bavarde.

À vrai dire, est-ce nécessaire de tout dire ? Saisira-t-elle d'une phrase à l'autre, que c'est le verbe ÊTRE qui a besoin d'AVOIR. J'avais bien essayé de souligner prestement à Simone, de fermer tous les guillemets, de jeter les virgules, de fermer les portes, et d'ouvrir la fenêtre et sautez …

—"Seigneur !", s'écrie Simone, ouvrant aussi vite d'autres guillemets, " Vous n'êtes pas en train de me dire de sauter par la fenêtre ?"

—Mais non, de sauter sur votre matelas, de danser, aux quatre vents, de lâcher votre fou…

—Est-ce bien ce que je fais, je m’exprime, je m’expulse, je m’extériorise, je m’ex…toutes

—Le bon point d’interrogation c’est de vous écouter…en silence.

Pour autant, j'admets que c'est facile de la détendre. C'est que je me suis dit tout à coup;  elle m'a contaminé! Je suis aussi bavard qu'elle, avec mes mains. Et je me suis mis à apprécier ces ex-machins et ces guillemets. Elle est extraordinaire, cette personne, elle est si différente de moi. Elle est éblouissante avec ses litanies au superlatif infinies. Elle est belle avec son sourire d'ange, surprise de baigner dans cette muette béatitude. Car l'énergie a fini par circuler jusqu’à ces ex…trémités.

Mais Simone n'avait pas dit son dernier mot.

—Je ne me suis jamais senti comme ça ! Comprenez-vous que là, j'avais une crampe ici et un spasme là… Quelle huile essentielle avez –vous utilisée ?  Est-ce que vous en vendez ?"…

—"NON". J'ai fermé les guillemets. Point final!

—!!! Alors, je voudrais prendre un autre rendez-vous ?

J'ai ouvert mon agenda et j'ai écrit minutieusement (Simone) en lettres carrées, entre deux bonnes parenthèses souriantes et confortables.

jeudi 30 janvier 2025

APPRENDRE EN TOUCHANT


Toute action humaine est avant tout, provoquée par une émotion ou un sentiment. Ceux-ci n’ont rien à voir avec l’intelligence ou la raison.  L’intelligence ne suffit pas à la compréhension de soi-même. Il faut la perception.

 Dès la quatrième semaine de grossesse, certains récepteurs du toucher surgissent. C'est la première capacité sensorielle à apparaître chez le fœtus, et la fondation sur laquelle l'enfant va développer son rapport au monde par les sens. À six mois  il examine les objets en les touchant avec sa paume et ses doigts. Les neurones se développent, se sélectionnent et se raffinent au cours d'un long processus d'adaptation au monde extérieur. À douze mois, il répond aux caresses et autres marques d’affection en faisant des câlins. Le sens du toucher permet à l’enfant de découvrir son corps et son environnement, mais aussi d’établir des liens avec les personnes de son entourage.

  L’enfant est ouvert à toutes les formes de langage, mais si on lui impose une restriction, « Ne mets pas les doigts dans ton nez », qui plus est en le menaçant du doigt, on le brimera sur une chaîne entière d’information sensorielle. L’épanouissement intérieur s’apprivoise par cette conscience, de ses réflexes et de ses désirs. Il apprend à nager en touchant l’eau, en la palpant, en la tapotant. Il apprend à nager dans le bonheur de la même façon, en l’explorant. Il a une connaissance innée de la paix et de la détente. Il ne connaît pas l’angoisse d’avoir échoué dans le passé ou de ne pas avoir sa place dans le futur. Il a le réflexe de manifester quand il a faim, de crier quand il a  peur, comme de rire dans la minute qui suit, si quelque chose l’amuse. Il a le constant réflexe de toucher en jouant. Les indices issus du monde extérieur se transforment sous l'effet des échanges tactiles et évoluent concrètement en prenant une signification motrice et donc conceptuelle. Ainsi l’enfant peut-il connaître et deviner les intentions de ses parents même s'il ne parle pas encore. Il évolue en décodant le geste et le contact des personnes de son entourage. C’est dans la tendre enfance que se discernent ou se discriminent les sensations.

  Une émotion peut être une vibration qui blesse si elle se heurte à une tension déjà présente. Aucun mot, aucun élixir n’apaisent comme étreindre quelqu’un dans une crise émotionnelle. C’est dans ce processus physiologique et biologique que le massage calme le corps. Si on résiste à ses émotions, elles deviendront hyperémotivité. On en reconnaîtra les réactions excessives : les rires et les pleurs exagérés et spasmodiques, ainsi que les gestes saccadés. Si je mime, à l’enfant, un animal sauvage qui rugit, il entre dans le jeu si il est détendu. Par contre, si il est tendu, il sera effrayé.

  Prendre conscience par les sens, incarne la prise de conscience, la présence d’esprit. La personne se sent écoutée et respectée et son esprit accède à un meilleur discernement. Quel que soit son héritage génétique et culturel, l’Être a une connaissance innée de l’intériorité et de la perception. Lorsqu’il y a tension, le massage permet de prendre conscience qu’il est réjouissant de s’en libérer. Il peut permettre une plus grande ouverture aux ressentis corporels et développer une conscience plus précise du corps.